vendredi 28 août 2009

Un grand respir avant les bombardements.

Il n’y a pas longtemps, nos collègues du journal Le Libraire nous faisaient parvenir un appel de textes pour leur numéro spécial sur la rentrée littéraire. En gros, il s’agissait de dire, d’écrire plutôt, pourquoi on aimait cette fameuse rentrée.

Avant de continuer, précisions. J’aime beaucoup Le Libraire. J’y écris assez souvent, et ce n’est pas juste pour avoir des livres gratis. Je respecte son équipe; ceux qui y travaillent et ceux qui y écrivent. Ils font du très bon boulot. Essentiel, même. Et faire un dossier spécial rentrée était, malgré tout ce que je dis plus bas et qui n’engage que moi, une très bonne idée. Incontournable, en fait. Puisque dans le milieu (comme on dit dans les films avec Lino Ventura) de toute façon, tout le monde en parlera, de cette rentrée. Alors, qui mieux que Le Libraire?

Mais moi, la rentrée littéraire, bof. J’en étais d’ailleurs à ces réflexions quand Christian V (pas le roi du Danemark, mais mon collègue depuis presque toujours) me dit, du bout des lèvres, comme s’il craignait d’être taxé d’hérésie, que lui, la rentrée littéraire, bof. Tiens, tiens. Voilà pourquoi ni lui ni moi n’aurons de texte dans ce dossier spécial.

La rentrée littéraire, pour moi, ça ressemble à une gigantesque Opération Tempête du désert : un véritable bombardement de livres. 659, d’après Le Monde. 659 livres? Non, romans seulement; français, seulement. De fin août à fin octobre, il sortira assez de romans (en comptant seulement les romans français) pour vos dix prochaines années, si vous en lisez un point quelque par semaine. Bien sûr, 98% de ces livres seront complètement oubliés d’ici là. Mais les deux ou trois qui se seront bien vendus, bingo!

On dirait une espèce de loterie, sauf que. Sauf que, il doit y avoir des comptables, des actuaires, des statisticiens sur le coup. Le gros éditeur se dit : publier dix fois trop de livres me coûte juste trois quatre fois le prix, et parmi les dizaines de livres que je déverse sur les masses liseuses, j’espère qu’un ou deux aura un petit succès. Ou un gros? Ce serait idéal. Un gros succès, c’est-à-dire, un livre dont tout le monde parle pendant sept-huit semaines plutôt que deux-trois. (Ce n’est pas de l’humour.)

Si j’étais un auteur… Je recommence. Si je publiais un livre…. Encore. Quand je publierai mon prochain livre, je demanderai à l’éditeur de le publier en plein été. Comme ça, il reste sur les présentoirs de nouveautés pendant des semaines! Tandis qu’en septembre, il aura de la chance s’il peut tenir plus de quelques jours sur un plexi à côté d’un Gallimard jaunasse (collection blanche). Quand le journaliste en parlera (rêve, c’est bon pour ce que t’as), le livre sera retourné «par deyousse» qu’il est venu à la vitesse grand R («retour»), ou peut-être grand C («crédit»). «Voulez-vous le commander?», demandera le libraire (voyez, il est de mon côté). Mais non. «J’aurais aimé le voir avant…»
Car mon livre aura été noyé non seulement par la quantité de livres publiés presque en même temps, mais aussi par la «qualité». (Je déteste les gens qui mettent plein de guillemets à la suite, alors je le fais pas.) Par livres de qualité, je veux dire : livres écrits des auteurs connus du public et dont les médias parlent de toute façon. (Tu prends le texte que t’as écrit l’année passée sur Amélie Nothomb, tu changes le titre, tu change le n pour n+1 dans l’expression «nième roman», et bingo!)

Ma vision est biaisée, sans doute. Chez Pantoute, l’été, il y a plus de monde (dans le Vieux-Québec en tous cas). J’imagine mon polar à sa place sur la colonne pendant tout l’été, et je viens les yeux en signes de piastres. Mais bon, peut-être que j’en vendrais seulement là où il y a des touristes, et autres variétés de gens en vacances. Peut-être que c’est vrai, après tout, qu’il n’y a pas grand monde dans les librairies en été.
Mais de là à publier son bouquin en même temps que mille autres! Ma seule question est : pourquoi? Je veux bien admettre qu’il n’y ait pas de réponse facile. Au Québec, on peut expliquer en partie le phénomène par l’existence du plus gros salon du livre… en novembre (celui de Montréal, vous aviez deviné?). C’est vrai, mais seulement si on considère qu’un salon est une affaire de nouveautés. Je crois que non, mais on n’est pas beaucoup à le croire (et s’il n’en reste qu’un…). Si vous avez fait paraître votre livre au printemps, par exemple à temps pour le Salon de Québec (pas si petit quand même), votre livre sera présumément présent au Salon de Montréal, mais peut-être pas en pile à côté de la caisse. (Enlevez ces yeux en signes de piastres de votre visage naïvement souriant.)

Tout cela, en se plaçant du point de vue de ceux qui offrent les livres (auteur, éditeur, distributeur), mais pour ceux qui demandent? Et bien, d’abord, ils n’en demandent pas tant. (Ici on entrerait dans un trop long débat, sur un monde où tout le monde publie et veut être lu, où tout le monde blogue et lit peu les blogues des autres, et moi le premier.) Mais déjà, six sept cent livres avec des dates de parutions mieux réparties, ce serait sans doute mieux pour le lecteur.

Et pour le libraire? Quand septembre arrive, le libraire sait qu’il sera dans le jus jusqu’au nouvel an. La fameuse rentrée, d’abord, qui dure jusqu’à ce que Noël approche, quand il est déjà presque trop tard pour le préparer. (Bien sûr presque tout le monde fait ses achats à la dernière minute, mais il vaut mieux être prêt avant.) Puis, la période de Noël proprement dite, avec ses clients dix fois plus nombreux. En résumé, le libraire n’a pas besoin de cette avalanche de livres. Il veut des livres, beaucoup de livres, des tonnes de livres. Il en veut trop, mais pas autant.

Voilà pourquoi la rentrée littéraire, moi, bof. Il paraît que celle-ci est une rentrée relativement tranquille, pourtant : dix-sept romans français de moins qu’en 2008. Ça fera sans doute dix-sept livres de plus pour la rentrée… d’hiver. Remarquez, je ne fais de reproches à personne; un jour, je serai peut-être le 660e auteur à publier son roman en même temps que les autres. Mais cette avalanche étouffante, très peu pour moi. Dans le lot, il y aura des livres intéressants, sans doute, mais qui l’auraient été tout autant à une autre période de l’année. Un bon livre est un bon livre est un bon livre. Une tempête de livres, ça nous étourdit, nous étouffe, nous pique les yeux.
Bof.

3 commentaires:

  1. Bravo ! 659 fois bravo...
    mais la meilleure période pour un écrivain, ce n'est pas l'été, c'est le mois de Mai (et puis six semaines plus tard on arrive ici). Si le livre est bon, si l'éditeur y croit, l'on tient le mois,on tire les délais, à l'élastique de l'espérance et après le 1er juillet, on peut souffler: on passera l'été sur vos rayons, et on aura enfin le temps de signer, commenter, expliquer et se faire aimer...

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  2. Merci de votre commentaire; merci pour les précisions; merci de vos encouragements!

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  3. Totalement d'accord avec toi Stéphane. Mais plus tragique encore que la rentrée, c'est le temps de Noël, sur lequel s'est collé le salon du livre de Montréal( pour faire bouger les fonds, tout le monde sait ça!)On en reçoit tellement que certains livres ne peuvent même pas se trouver un petit bout de tablette. Ils restent donc dans l'entrepôt bien protégés dans leurs boites.... Dire qu'en janvier, février, mars, les journanistes littéraires sont affamés de nouveautés! Une bien étrange chose.....

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