mardi 30 juin 2009

«A-t-on déjà vu sur terre un intellectuel musclé?» (*)

Parmi les idées plus ou moins reçues sur le libraire, l’une d’elles veut que ce soit une job d’intellectuel. Mais qu’en est-il au fond? Et bien, ça dépend de ce que vous entendez par ce drôle de mot, «intellectuel». Quelqu’un qui fréquente quotidiennement l’écrit et la pensée, le mot et son support le plus évident, le livre? Ou une créature boutonneuse avec lunettes à la Woody Allen qui cite Kierkegaard et Oscar Wilde entre deux bouffées de Ventolin?
Il est vrai que les libraires travaillent au milieu des livres; tous ceux que j’ai connus plus qu’un peu vivent aussi au milieu d’eux. Chaque jour nous voyons de nouveaux livres, et si certains sont vites oubliés, plusieurs, même parmi ceux que nous n’aurons jamais le temps ou l’intérêt de lire, attirent notre attention. On regarde le nom de l’auteur («mmm, ça me dit quelque chose...»), lit la «quatrième», les premières phrases et quelques autres, choisies au hasard.
Je fais tout de suite une mise au point. Le libraire ne lit pas les livres sur son travail. Surtout parce qu’il n’a pas le temps, mais accessoirement aussi parce que ce n’est pas pour ça que son patron le paie. (Si on m’a pas dit mille fois «j’ai toujours rêvé d’être libraire, vous avez le temps de lire», on me l’a jamais dit.) Mais plus souvent que non il les explore rapidement, le temps de se faire une idée, quitte à en changer plus tard. Je me souviens que quand j’étudiais en histoire, on apprenait à se faire une idée d’un livre en le parcourant: table des matières, préface (et préfacier), index, introduction et conclusion, etc. C’est à peu près de ça qu’il s’agit, mis à part le silence, parfois perturbé par un ronflement, de la Bibliothèque de l’Université Laval.
Bon, le libraire fréquente les livres. Il les lit (chez lui). Il échange sur eux avec ses collègues, avec les clients. Une communauté, diffuse, fragile parfois, se forme. Tout ça autour des livres, et de quoi il parlent, et de comment ils le font. L’intellectuel libraire ne bâtit pas une oeuvre, il n’amasse pas une somme de références pour remplir un hypothétique centre de documentation, il n’écrit pas de rapport ni ne participe à des commissions d’enquêtes, il se contente de jaser avec le client, de comprendre ses besoins et d’y répondre de son mieux. Un intellectuel tourné vers le service au consommateur peut-être, mais un intellectuel quand même.
Si on était à la polyvalente, intellectuel voudrait dire pas sportif, pas sexy, faible, souffreteux et renfermé. Mais on n’est plus à la poly. Bien sûr, tant qu’un libraire n’aura pas marié un top model devenue «chanteuse propre», le métier ne sera pas considéré comme cool, mais on peut nuancer le portrait d’intello que vous avez peut-être en tête. Assis toute la journée derrière son écran plasma à méditer sur la fiction narrative en trempant sa madeleine dans son thé vert bio à l’os?
Non. Le libraire marche un demi-mille chaque jour, il trimballe des boîtes (il a vite appris à faire attention à son dos, mais il s’oublie parfois), il se penche et se relève presque aussi souvent que Pierre-Luc Laforest derrière le marbre des Capitales, il grimpe dans l’escabeau (en redescend, en principe, le même nombre de fois)... juste en y pensant, mes genoux, qui ont l’âge de l’Expo, hurlent de douleur anticipée. Tout ceci pour dire : libraire, job intellectuelle d’accord, mais aussi, surtout peut-être, job physique.
Maintenant on peut répondre un peu oui, avec Latraverse, à la question du titre.

(*) Plume Latraverse.

mardi 23 juin 2009

La preuve de l'été

Il est certain esprits chagrins pour douter de l’été. «Il a fait beau cet été», diront ces météorologiquement pessimistes, «mais je travaillais ce jour-là.» Quand ils ne chanteront pas avec Dutronc les paroles de Fred(*): «le fond de l’air est frais / Laïho, Laïho ! / Il n'y a plus d'saison / Laïho, Laïho !».
Mais je vous le dis (vous le saurez pour plus tard): l’été existe; l’été, au moment où je pitonne ces lignes, est présent.
Ma meilleure preuve, c’est les boîtes. Si j’en crois mes souvenirs de libraire-ailleurs-que-chez-Pantoute, l’été est une période morte. L’automne est bien plus hot, et à mesure que Noël approche, la librairie se réchauffe. En été, si votre librairie est près d’un cinéma, vous aurez la visite de quelques clients en avance sur l’horaire, venus siphonner un peu de votre air climatisé. Donc, peu de ventes en été. Peu de commandes, peu de stockage. Peu de réceptions à faire. («Le backstore est vide: tiens je savais pas qu’il était gris, ce plancher...» ) On fait du ménage! («Atchoub! la section poésie est époussetée!») Les clients, de toute façon, sont partis, non? (Mais ? Voilà toute la question.)

Mais dans les quartiers moins touristiquement suspects (dont, au hasard, le Vieux-Québec où j’exerce), c’est un peu, beaucoup, le contraire. Tous ces gens partis en vacances, c’est ici qu’ils sont venus. Voir le Vieux-Québec, je suppose. (Ils ont raison: c’est beau, le Vieux-Québec, et en plus c’est conçu pour eux, touristes. Je ne suis pas à l’étape de m’en plaindre, je constate.) Alors ils en profitent pour ramasser un ou trois formats poche pour relaxer, lire en avion, ou à l'hôtel, ou de retour chez eux. (Les touristes français, eux, ont soigneusement atteint à l’aller la limite de poids permise pour leur bagages; ce qui fait qu’ils ont de la place, au retour, pour seulement un ou deux petits livres de poche bien «typiques».)
Mais je m’éloigne, en essayant d’y revenir: les boîtes. Des livres de poches de toutes sortes (beaucoup de littérature populaire, du polar, les rééditions petit format des best sellers grand format de l’année passée, des «classiques de libraires» tels que Les piliers de la terre ou Saga, etc. Surtout des etc.) Des livres sur Québec. Essais, guides de voyage, livres de photo: on pourrait remplir la librairie avec juste des livres sur la ville. Depuis le 400e, ça nous prendrait deux librairies.
Alors l’entrepôt se remplit: des mises en place BQ, folio, livre de poche, (trois petits) points... L’entrepôt devient une sorte d’entonnoir. Sauf que. Un entonnoir avec deux gros bouts.
Bref, peu importe le soleil ou la pluie, les bermudas ou les imperméables: l’entrepôt est plein, et c’est pas Noël, donc c’est l’été.

Plus scientifiquement, c’est l’été parce que les journées sont longues. À dix heures le soir, dans le Vieux-Québec, il faut souvent rappeler amicalement aux clients que ce serait le temps de songer à partir. (Oups! ai-je dit «mettre à la porte»?)

(*) Fredéric Othon Theodore Aristidès, «Fred», créateur de Philémon.

samedi 20 juin 2009

Le quotidien une couple de fois par semaine.

Bonjour amis, amies des livres.

Bienvenue sur le blog de Stéphane Picher, libraire chez Pantoute, à Québec.
Ici je coucherai sur l'écran mes pensées, doutes, espoirs, remarques, anecdotes et jeux de mots capilotractés(*) en lien avec les livres et le métier de libraire en général, chez Pantoute en particulier.
Si vous vous demandez c'est qui, quoi, un libraire, en particulier un «libraire indépendant» (un libraire dans une librairie indépendante), ce blog répondra probablement un peu, beaucoup, partiellement et de façon soigneusement désorganisée à ces hautes questions.
Si vous êtes vous même libraire, vous n'apprendrez peut-être pas beaucoup ici, mais pourrez vous amuser à me lire, commenter, contredire, citer. Parlez-en aux amis du livre!
Le monde du livre n'est pas seulement une entité planant dans l'éther de la Culture; une librairie, c'est plein de boîtes, de poussière de livres (que nos gérants voudraient plus souvent nous voir ramasser) et surtout de livres qu'il faut recevoir, informatiser, étiqueter, placer («placer c'est déplacer»), classer, conseiller et, si possible, vendre. Le plus souvent je rendrai donc compte de la vie quotidienne d'une librairie (et de son site internet). D'accord, disons plutôt la vie hebdomadaire. Que se passe-t-il concrètement en librairie? Le dernier best-seller est-il encore manquant? (Il vient de rentrer, mais ils sont déjà tous vendus...) Quel livre se fait-on demander le plus souvent? L'entrepôt croule-t-il sous les boîtes? Qui lit quoi? Est-ce que c'est bon? Qui a gagné le pool de hockey?
Commençons par là. Les séries éliminatoires de la LNH ayant pris fin avec la victoire des Penguins, c'est maintenant officiel: Christian Girard, libraire et gérant de plancher à la succursale Vieux-Québec, a gagné les deux «pool» de cette année, celui de la saison régulière et celui des éliminatoires. Mais où va-t-il chercher tout ça?
(*) Soit, bien sûr: «tirés par les cheveux».