mardi 10 novembre 2009

Des lettres et des nombres.

C’est curieux la vie de libraire. On s’y jette par amour des livres, des mots. Bon, parce qu’on a besoin d’une job, d’accord, mais vous voyez. On a passé des nuits blanches à ne pas étudier à cause de Fondation. On est tombée amoureuse des personnages de Jane Austen ou de Anne Rice. (Avez vous Luanne Rice?) On a cherché le temps perdu avec Marcel, on a été ébloui par Ducharme ou Boris Vian, Lieberman ou Jean-Jacques Pelletier ou Richard Brautigan. Donc on s’engage, comme ils disaient. Libraire, c’est une job culturelle, une job d’intello.

Et on se retrouve à parler de numéro de factures, de total à payer, de pourcentage de taxes («il n’y a pas de TVQ sur les livres, Monsieur, seulement la TPS»), de numéro de fax, d’heures d’ouvertures, de numéro de commande ou de client, ou de saisie ou de réservation. On compte la caisse, on tente d’équilibrer les comptes après une longue journée de travail. Numéro de téléphone, s’il vous plait? Y a-t-il un numéro de poste, une extension? Pourcentage de rabais de la carte-fidélité, prix de détail, remise du libraire (pour ranger la proverbiale tondeuse du libraire), frais d’expédition, nombre de boîtes dans cet envoi, avez-vous vu la «deux de deux» quelqu’un?, voyez sur l’étiquette à côté du numéro d’expédition il y a le numéro de facture, à quel numéro je peux vous en faxer une copie?
Des chiffres, des nombres, des numéros!

Le pire, c’est quand on nous dit qu’en face (endroit fictif), ils vendent tel ou tel livre cinq piastres de moins et qu’on nous demande si «on peut faire quelque chose avec ça». Parce qu’on est libraire, un peu, beaucoup et surtout par amour des mots et des phrases et des livres, on n’a pas envie d’aller expliquer qu’en face (endroit fictif), ils ont édité, puis imprimé, puis distribué le livre qu’il vous vendent cinq piastres moins cher. Heureusement, il s’agit là d’un cas plutôt rare.

Heureusement, chaque jour des clients nous demandent de leur parler de livres! Ils ne veulent pas nous dire combien ils sont prêts à dépenser pour lire, ni le nombre de pages ou d’heures de lecture dont ils ont besoin. Alors on leur parle d’une écriture fine, d’une intrigue prenante, d’une poésie dont la musique nous a frappé — ça faisait mal, et ça faisait du bien.
On leur parle d’un bon livre, et ils sont heureux.
Comme je disais, c’est curieux la vie de libraire.