mardi 8 septembre 2009

Le théorème d'Auster

Un autoportrait.

(C'est une longue: plus de 1200 mots. C'est si facile parler de soi! Narcisse doit se retourner dans sa tombe en miroirs...)


Toujours fasciné par les questions concrètes, je me propose de commencer aujourd’hui à répondre à ces questions de détail : Qui sommes-nous? D’où venons-nous? Et où (n’) allons-nous (pas)? Par nous j’entends, bien sûr, les libraires.


Dans une série de portraits dignes d’un prix Pulitzer du pauvre, je tenterai de raconter, en gros, ce qui s’est passé pour qu’on en arrive là. Je suis tenté de dire : qu’est-ce qui n’a pas marché? Pas pour nous plaindre, non, mais il faut bien le dire : libraire est rarement un métier qu’on choisit en premier. Au Québec, du moins, où il n’y a pas (encore) de programme d’étude ni d’attestation. Ni rien.


On vient de quelque part, on pense aller ailleurs, on échoue dans une librairie. J’exagère? Juste un peu. Qu’avons-nous, libraires, en commun? L’amour des livres? Mais encore? Qui sommes nous après cinq heures (façon de parler)? Un libraire, qu’est-ce que ça mange en été?


Dans un souci de marketing extrême (on se refait pas), je commence aujourd’hui en faisant mon autoportrait. Double promotion, donc. De un, je fais mon propre éloge. (Pas que j’en aie besoin particulièrement, y a-t-il encore beaucoup de gens chez les Civilisés qui ne savent pas à quel point je suis génial?) De deux, et plus utilement, je vends l’idée de ces portraits à mes collègues. Quand ils verront que ça fait pas trop mal, ils accepterons que je fasse le leur. Je sais, je pourrais commettre des portraits non autorisés (j’y ai pensé), mais je ne cherche pas plus que mon dû de trouble. On peut très bien être célèbre et haï.



Qui suis-je (comme libraire, et en civil)?

Comme lecteur j'ai des goûts assez éclectiques, mais depuis quelques années je lis moins d'essais, de théâtre, et même de fiction «générale» pour me concentrer surtout sur deux genres à priori assez éloignés: poésie et polar. Le polar, pour son délicieux mélange de violence et de logique, pour cette espèce de pensée dramaturgique en action. Sa catharsis (rien à voir avec le 5 à 7*). La poésie? Malgré toutes les «raisons rationnelles» que je pourrais donner en parlant de l'être et du langage, ou de l'enfant qui questionne ses fondements (ceux du langage) en expérimentant une expression fondamentale, ou autres concepts pleins de vérité, si j'aime la poésie c'est pour sa musique. La poésie dit des choses, veut dire quelque chose, mais surtout elle fait de la musique.


Ce sont là d'ailleurs les deux genres que je pratique ou que j'aimerais pratiquer. C'est-à-dire que j'écris de la poésie avec plus ou moins de régularité et de motivation; j'en ai publié un peu, même si ça commence à faire longtemps (quelques textes en revue, un livre en 2002). Côté polar, c'est plus dur. J'ai une histoire, un plan, des personnages... et dix-huit pages écrites depuis un an. Il faut dire que je travaille fort à trouver des occupations pour me détourner de l'écriture proprement dite. Apprentissage très irrégulier d'un instrument de musique (la dernière fois, c'était le piano), enregistrement de mes poèmes pour en faire un hypothétique CD, bricolages de toutes sortes, etc. Cinéphile. Mélomane maniaque (jazz, un peu de chanson, jazz, un peu de blues, jazz, un peu de rock pas très récent, jazz, un peu de musique du monde). Amateur de baseball: si j'avais le câble, je passerais l'été devant RDS.

J'oubliais: j'aime les livres sur la boxe.


D'où je viens (comme lecteur)?

S’il y a un cliché qui m’énerve sur les quatrièmes de couvertures, c’est celui qui veut que Untel «a toujours aimé les livres» ou qu’il a «toujours écrit». Depuis qu’il est tout petit, Untel est un grand écrivain. De la crotte de taureau. Mais au moment d’écrire ce qui suit , je le comprends mieux (Untel). Depuis que je suis tout petit, j’adore les livres. Voilà, je l’ai dit, ça soulage. Petit, je lisais presque juste de la BD, les séries classiques (pour l’époque) que mon père achetait : Tintin, Astérix, Gaston Lagaffe, Achille Talon, Spirou, Iznogoud. Quelques autres. Ado, je ne lisais pas beaucoup de romans. Je me souviens de Drames à Valcartier, dans la collection «signe de piste», écrit par un ado québécois, François Pichette. (Je serais curieux de savoir ce qu’il est devenu comme auteur. Peut-être qu’il savait faire autre chose qu’écrire et qu’il est devenu médecin ou avocat?) J’avais adoré ce livre et après l’avoir relu dans la jeune vingtaine, je trouvais qu’il tenait bien la route. Il doit traîner quelque part.


Sinon, je lisais des Columbo et des Bob Morane que j’empruntais à la bibliothèque des Sœurs de la Charité de Saint-Louis. (Il n’y avait pas de bibliothèque municipale à Pont-Rouge à cette lointaine époque.) Comme on le voit, tous les chemins mènent à la poésie. Mais à partir du moment où j’ai lu Le monde selon Garp, à l’été 1985, ma vie a changé, j’ai su ce que je voulais faire.


Non, pas libraire. Écrivain. Mais au lieu d’étudier en littérature et d’assumer ce désir d’un destin littéraire, ce que toute personne sensée aurait fait, j’ai viraillé autour du pot à m’en étourdir. J’ai étudié l’histoire, l’informatique, travaillé comme programmeur, étudié l’espagnol, chômé. Puis (je vous fais grâce de mille autres détours) je suis devenu libraire. Au fond, c’est ce que tout ce temps là je cherchais, sans le savoir. Être au beau milieu des livres. Les regarder, les toucher, en lire quelques passages. En parler, parfois même à quelqu'un que ça intéresse.

(Chez Pantoute nous accordons beaucoup d'importance aux conseils personnalisés. Ce n'est pas de la crotte de taureau: avec l'équipe qu'on a on tente de couvrir le plus de terrain possible. La plupart du temps, on y arrive assez bien. Mais bon, je ne dis pas qu'on soit les seuls dans ce cas.)


Où est-ce que je m'en vais comme ça?

Côté cour, je passe de moins en moins de temps «sur le plancher», pas parce que je porte plus à terre, mais parce que mon activité comme édimestre du site de la librairie me demande de plus en plus de temps. Il semblerait que la tendance doive se maintenir. De toute façon les deux Christian peuvent parler aussi bien que moi, au moins, de poésie (Girard) ou de littérature policière (Vachon); ceci sans compter l'histoire, les essais, la littérature (américaine, par exemple) et bien d'autres choses.


Côté jardin, je pense finir enfin mon recueil de poésie cet automne. Il est vrai que j'aimerais en faire un CD; il me semble que la poésie est faite pour être dite, entendue (c'est de la musique après tout). Ensuite, j'entreprendrai l'écriture de mon polar (où la poésie occupe une assez bonne place), mais là, j'aime mieux ne pas me donner d'agenda trop précis. À moins que ne trouve d'autres activités pour m'en détourner: des cours de cuisine? une chorale? la culture de bonzaïs? un abonnement chez Curves?




Quelque part dans son œuvre ou en entrevue, je ne sais plus où, Paul Auster a dit que s’il était devenu écrivain, c’est parce qu’il ne savait faire rien d’autre. Je ne sais pas pour mes distingués collègues, mais ce «théorème d’Auster» pourrait bien être la clé qui expliquerait ma vocation.







(*) Merci, Christian Girard.



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