mardi 1 décembre 2009

«Quin, ton christ de mouton!»

Il y a déjà plus d’un mois que «l’aventure superflue» (*) de Tintin est parue. Le moins qu’on puisse dire, c’est que Colocs en stock n’a pas fait l’unanimité. Quoique — je n’ai pas fait le tour, mais il semble qu’il fasse l’unanimité dans la déception. On s'est fait faire la «passe du bonhomme Giroux», pas à peu près.


On a beaucoup parlé de cette langue bizarre, inventée par un sociologue, mais que personne ne parle. S’il s’agissait d’une langue poétique à la Réjean Ducharme ou Victor-Lévy Beaulieu, où l’invention produit une musique nouvelle, surprenante, inusitée mais qui fait sens, qu’on peut comprendre, apprivoiser, faire sienne. Mais un ramassis d’expressions dont plusieurs sont (j’imagine) des régionalismes de régions très restreintes, ou des trucs que plus personne ne dit! Quand avez-vous entendu pour la dernière fois quelqu’un dire qu’il allait aux vues? Qu’il s’était pâmé en regardant… (j’allais dire le film)… la vue? À moins qu’on ne parle ici du panorama.


Trouvant comme moi que les mots abrier et désabriller sont parmi les plus beaux de la «langue québécoise», notre «traducteur» a tout fait pour les placer. Page 43, un grand bruit réveille le capitaine Haddock. Le moteur «marche pus», le navire dérive: urgence! Que crie Haddock? En français, il dit «debout, là-dedans!!!», mais en québécois? «Désabrillez-vous!!!»

Bien entendu. Il y a le feu chez vous, vous ne penserez pas à crier au feu ni réveillez-vous (trop français, sans doute), mais en criant désabrillez-vous! vous manifestez votre différence linguistique, même dans l’urgence. Même si ça vous fait paraître con comme un tapis de souris.

Cette initiative est d’autant plus énervante qu’elle a été faite avec une apparente légèreté. En y réfléchissant, on se rend compte que cette légèreté, ce truc fait «juste pour le fun» est même légèrement insultant pour les Québécois.

Chose curieuse pour un éditeur de BD, on semble avoir oublié que celle-ci fait partie de la littérature. Je ne suis pas universitaire (je l’ai si peu été), mais la bande dessinée, comme le polar ou la SF, font pour moi partie de la littérature, appelons-la paralittérature, ou sous littérature, ou littérature populaire s’il le faut. Même un mauvais roman participe de la littérature, qui est en gros un art de la fiction écrite. Mais est-ce de la langue écrite qu’il s’agit ici?


Plutôt de la langue orale (mal) transcrite, pleine d’apostrophes, d’élisions, de mots écrits au son. Sans doute pour rendre la «particularité» (mot qui sonne ici comme «parler colon») de notre belle langue. «A é ben bonne, celle-là!» aurait très bien pu, aurait dû être écrit «Elle est bien bonne», à la rigueur «elle est ben bonne». Le lecteur fait dans sa tête les différentes sonorités, non? Comme avec la «version française», d'ailleurs. On ne fait pas de la littérature au son, si? Prenez Michel Rabagliati. Y a-t-il plus «bande dessinée québécoise» que sa série Paul? Pourtant, il y a chez lui assez peu de mots transcrits au son : «J’viens d’en voir sauter une belle!» (Paul à la pêche). À quoi bon écrire «j’viens d’en ouère sauter une belle?» Pour enfoncer le clou, rouillé, du pittoresque à tout prix?


Plusieurs on fait remarquer, aussi, l’aplatissement des niveaux de langage que cette «traduction» a entraîné. Tout le monde, ou presque, tend vers le même niveau de langue quand il parle en québécois. Même Bianca Castafiore, le rossignol milanais, pousse un petit «Ben voyons donc! Chus pas malade!», elle qui parlait case précédente un français on ne peut plus international. Que dire des personnages Arabes qui parlent ici et là un québécois que ne renierait pas Hi! Ha! Tremblay : «Chus p’têt dins patates». On se dit bien sûr, il n’ont pas étudié à Paris ou au collège français de leur pays natal (colonisation oblige), mais probablement à la Polyvalente Saint-Raymond, avant qu’on ne change son prénom en «École Secondaire», même si elle restera toujours «la Poly».


Tout le monde peut parler «québécois», c’est facile, c’est drôle, c’est juste pour le fun.

Alors, pourquoi Colocs en stock, pour qui? Pour les touristes français, pour qu'ils puissent se moquer (gentiment) de nous. Laissez-moi vous expliquer un peu.
Bien sûr, quelques collectionneurs l’ajouteront à leur bibliothèque (un exemplaire pour lire, l’autre pour «collectionner», c’est le phénomène «première édition»), quelques finfins l’achèteront à leur beau-frère pour se taper les cuisses entre deux matchs (c'est le phénomène «Slap Shot») mais, essentiellement, Colocs en stock est fait, peut-être son «auteur» l’ignore-t-il, pour se moquer des québécois et de leur langue si charmante.

Je ne veux pas dire ici, ni ailleurs, que les touristes français sont des gens méchants. Pas du tout : je crois qu’ils sont sincères pour la plupart dans leur affection pour notre bel accent, pour notre cuisine typique et notre faune sauvage. Mais pas de quoi en faire une aventure, fût-elle de Tintin et d'ailleurs, que faire d'un tel Tintin?

Rire. Rien d’autre.


Connaissez-vous La parlure québécoise ? Il s’agit d’un best-seller sur «notre» langue, dont le sous-titre est La référence des touristes. Lorsqu’un touriste français nous demande un livre sur les expressions québécoises, nous leur montrons l’excellent Dictionnaire des expressions québécoises de Pierre Desruisseaux (un poète qui en connaît un rayon sur la langue) ; nous leur proposons à la rigueur Le québécois pour mieux voyager (plus pratique que la Parlure et qui a le mérite d'être beaucoup plus réaliste) ou un autre ouvrage de qualité. Mais, presque invariablement, ils choisissent La parlure québécoise, parce que leur guide leur en a parlé. Après tout c’est la référence des touristes!


J’ai longtemps pensé que c’était ma faute, moi qui présentais le Desruisseaux comme un livre sérieux. J'aurais dû dire: un livre sérieusement fabriqué, mais amusant quand même, comme le sont, très souvent, les expressions populaires. Le problème avec La parlure, c’est qu’on ne peut rien faire avec, ou presque. Le consulter? Difficile, ce n’est pas un dictionnaire, et il n’a pas d’index. Il est regroupé par «thèmes» tels que «abus de confiance» (se faire avoir, se faire amancher), «exclamation » (on est vite sur nos patins) ou «vantardise» (c’est un frais chié). Notez que j’ai choisi volontairement les exemples les plus justes.


Bref, la seule chose qu'on peut faire avec cette Parlure, c'est rire. Non que ce soit bien grave de rire en général, ni de rire d'expressions populaires en particulier. Ce qu'il y a, c'est qu'on peut très bien le faire avec un ouvrage sérieux (mais drôle), dans lequel quand on cherche, on trouve.


Maintenant si on y pense de façon purement pratique, pourquoi traduire un Tintin en québécois? Les Québécois lisent le français, même s'ils le parlent drôle, mais les Français ne lisent pas (ou peu) le québécois. Nous avons lu les auteurs hexagonaux, vu les films de Louis de Funès et de Pierre Richard, écouté leurs chansons, alors Tintin! C'est d'ailleurs par là qu'ont commencé plusieurs d'entre nous à lire tous seuls.


Voici donc où je voulais en venir. Colocs en stock conforte les touristes, certains touristes, dans leur vision de la langue québécoise comme une curiosité, du genre comique. Combien de fois me suis-je fait demander Le Petit Prince en québécois? 100? 200? Sans doute entre les deux. Je trouvais la question stupide, je répondais poliment que ça n'existait pas, drôle d'idée d'ailleurs, à qui s'adresserait ce truc: «Enwèye, dessine-moé donc un mouton!» Maintenant on va me dire, avec raison en plus, qu'il y a bien un Tintin en québécois, alors pourquoi pas?

C'est si charmant.



(*) L’expression est de Nicolas Houle, voyez son texte ici. Voyez aussi le texte de Odile Tremblay, un texte sur le site de Radio-Canada et un autre sur le site l’actualitte pour faire un petit tour de la question.

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